Le Conseil constitutionnel a été saisi le 24 octobre 2011 par le Conseil d'État (décision n° 348771 du 24 octobre 2011) sur le fondement des dispositions de l'article 61-1 de la Constitution d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Ahmed S. relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 2122 16 du code général des collectivités territoriales.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par la SCP Ortscheidt, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 10 novembre 2011 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 15 novembre 2011 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendu à l'audience publique du 13 décembre 2011 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2122-16 du code général des collectivités territoriales : « Le maire et les adjoints, après avoir été entendus ou invités à fournir des explications écrites sur les faits qui leur sont reprochés, peuvent être suspendus par arrêté ministériel motivé pour une durée qui n'excède pas un mois. Ils ne peuvent être révoqués que par décret motivé pris en conseil des ministres.
« Le recours contentieux exercé contre l'arrêté de suspension ou le décret de révocation est dispensé du ministère d'avocat.
« La révocation emporte de plein droit l'inéligibilité aux fonctions de maire et à celles d'adjoint pendant une durée d'un an à compter du décret de révocation à moins qu'il ne soit procédé auparavant au renouvellement général des conseils municipaux » ;
2. Considérant que, selon le requérant, d'une part, en ne définissant pas les motifs susceptibles de fonder une décision de suspension ou de révocation d'un maire, ces dispositions méconnaissent l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que, d'autre part, en permettant que ce pouvoir de sanction s'applique indistinctement à l'égard de l'exercice des compétences déconcentrées et décentralisées dévolues aux organes exécutifs des communes, ces dispositions méconnaîtraient le principe de la libre administration des collectivités territoriales garanti par l'article 72 de la Constitution ;
- SUR LE GRIEF TIRÉ DE LA MÉCONNAISSANCE DES EXIGENCES CONSTITUTIONNELLES APPLICABLES AUX POURSUITES ET SANCTIONS DISCIPLINAIRES :
3. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la Déclaration de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » ; que les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition ;
4. Considérant qu'appliquée en dehors du droit pénal, l'exigence d'une définition des manquements sanctionnés se trouve satisfaite, en matière administrative, par la référence aux obligations auxquelles le titulaire d'une fonction publique est soumis en vertu des lois et règlements ;
5. Considérant que les dispositions contestées ont, ainsi qu'il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d'État, pour objet de réprimer les manquements graves et répétés aux obligations qui s'attachent aux fonctions de maire et de mettre ainsi fin à des comportements dont la particulière gravité est avérée ; que, dans ces conditions, si les dispositions contestées instituent une sanction ayant le caractère d'une punition, l'absence de référence expresse aux obligations auxquelles les maires sont soumis en raison de leurs fonctions ne méconnaît pas le principe de la légalité des délits ;
- SUR LE GRIEF TIRÉ DE LA MÉCONNAISSANCE DU PRINCIPE DE LA LIBRE ADMINISTRATION DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES :
6. Considérant que, si, selon le troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution, les collectivités territoriales « s'administrent librement par des conseils élus », chacune d'elles le fait « dans les conditions prévues par la loi » ; que son article 34 réserve au législateur la détermination des principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales ;
7. Considérant que les dispositions contestées permettent de prendre des sanctions contre le maire qu'il ait agi en qualité d'agent de l'État ou d'autorité exécutive de la commune ; que l'institution de sanctions réprimant les manquements des maires aux obligations qui s'attachent à leurs fonctions ne méconnaît pas, en elle-même, la libre administration des collectivités territoriales ; que la suspension ou la révocation, qui produit des effets pour l'ensemble des attributions du maire, est prise en application de la loi ; que, par suite, les dispositions contestées ne méconnaissent pas la libre administration des collectivités territoriales ;
8. Considérant que les dispositions contestées ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,
D É C I D E :
Article 1er.- L'article L. 2122-16 du code général des collectivités territoriales est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 12 janvier 2012, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.
Rendu public le 13 janvier 2012.